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Revenu d’existence, revenu d’inexistence

Loi travailEntre les deux, lequel choisir ?

L’élection présidentielle de 2017 aura au moins eu l’intérêt de mettre ce sujet sur le tapis, un temps très court certes mais assez long pour que le débat s’installe, pour le plus grand bénéfice de tous. Car les termes employés, revenu d’existence, de base, universel, etc. contiennent les innombrables questions que pose depuis des siècles le travail à l’être humain. Pourquoi travaille-t-on ? A-t-on toujours travaillé ? Surtout pas, répondront les Grecs et les Romains, qui laissaient ce domaine aux esclaves, considérés comme non humains. Pourquoi le travail fait-il souffrir (parfois/ souvent/ toujours…), aussi bien que l’absence de travail ? Parce que travailler c’est produire et se produire, c’est-à-dire mettre en œuvre son ingéniosité et ses capacités créatives, au-delà des tâches et des procédures nécessaires, répondront les psychosociologues, et que l’appropriation de cette part humaine du travail par les employeurs est un vol pur et simple. Pourquoi suis-je pauvre si je ne travaille pas, et pourquoi certains sont riches sans travailler? Question de société, répondront les anthropologues, dans les sociétés dites « holistes » (les sociétés nomades ou paysannes par exemple) la richesse n’a souvent rien à voir avec le travail et l’accumulation d’argent. Pourquoi un riche qui ne travaille pas peut se présenter à une élection présidentielle et fustiger la perte de la valeur travail ? Hum, oui tient, pourquoi ?

Mais aussi : pourquoi travailler toujours plus ? A quoi sert l’argent du travail ? Où va l’argent produit par les travailleurs qui ne leur est pas reversé ? Est-ce qu’on me fait naître dans le seul but de me faire travailler ? Et pour qui ? Pourquoi ai-je à mener une bataille pour gagner ma vie (j’étais si tranquille dans les limbes dont on m’a soustrait à ma conception…)? Ou dit autrement, pourquoi on me fait naître si la société qui me laisse naître n’est pas garante de ma [bonne] vie ? Pourquoi ai-je le sentiment de perdre quelque chose quand je livre corps et âme un combat pour un travail et un revenu dignes ? Dans cette bataille, qui sont mes adversaires ? Travailler ce serait donc faire la guerre ?  Qu’en est-il des pacifistes ? Dieu travaille-t-il ?¹

« Le travail concret n’a pu être transformé en ce que Marx appellera le « travail abstrait » qu’en faisant naître à la place de l’ouvrier-producteur le travailleur-consommateur : c’est-à-dire l’individu social qui ne produit rien de ce qu’il consomme et ne consomme rien de ce qu’il produit ; pour lui le but essentiel du travail est de pouvoir acheter des marchandises produites et définies par la machine sociale dans son ensemble.
La rationalisation économique du travail aura donc raison de l’antique idée de liberté et d’autonomie existentielle. Elle fait surgir l’individu qui, aliéné dans son travail, le sera aussi, nécessairement, dans ses consommations et, finalement, dans ses besoins. Parce qu’il n’y a pas de limite à la quantité d’argent susceptible d’être gagnée et dépensée, il n’y aura plus de limite aux besoins que l’argent permet d’avoir ni aux besoins d’argent. Leur étendue croît avec la richesse sociale. La monétarisation du travail et des besoins fera finalement sauter les limites dans lesquelles les contenaient les philosophies de la vie. » André Gorz, 2004 [1988]. Métamorphoses du travail. Critique de la raison économique. Gallimard, col. folio essais, p. 44-45

 ¹ Dieu travaille-t-il ? Citation empruntée à Dominique Méda dans Le travail, une valeur en voie de disparition, Champs Flammarion, 2004, [1995], p. 47

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